Les matins se font dans des brouillards mystérieux. Je m’extraie du lit et jette un œil à la fenêtre de la cuisine, gris blanc vaporeux et comme une dilution du voisinage. Je pense au brouillard depuis les fenêtres de mon enfance, au pont pourtant à quelques mètres qui disparaissait.
Si le brouillard m’enchante, j’attends le froid. J’attends le nez piqué de l’air respiré, j’attends cette envie de thé chaud passées quelques heures dehors. J’attends aussi, délice, sortir avec une tasse, me promener au parc, l’odeur réconfortante dans le vert foncé des arbres qui gonflent et dégonflent leurs feuillages, gros chats d’automne.
Nous sommes la veille du dimanche, du dimanche où on soupire en chœur, que tant qu’ils sont là, ça va. Tant qu’il y a la douceur d’un matin tiède, les plaids qui lestent les corps endormis dans un petit lac de lit défait, frémissant du ronflement du chat, ça va. Tant qu’il y a les grands travaux dans la salle de bain, les grains qui lissent et les crèmes qui brillent, ça va. Tant qu’il y a, la bouilloire toujours tiède, la tasse qui se tâche de théine, ça va.
Verlaine lèche ses pattes, coupe ses griffes de ses crocs experts, les grands travaux sont aussi son affaire. Rien ne me fascine autant que ces moments de toilette appliquée, je suis tentée de sortir un calepin et prendre des notes, je félicite l’artiste en chuchotant, car il s’agirait de ne pas le déranger.
La pluie arrive et les doigts se glacent, peut-être qu’on y est déjà, dans ce que j’espère tant, la saison des cachettes et des beautés secrètes, de la vie lointaine et du repos, comme les terres sous leurs lits de feuilles. Je suis forêt endormie et terrier enfoui.
Potions
Après des années de salle de bain à la sobriété monacale, je me surprends à chercher les onguents, leurs parfums et mes mains qui frottent et remettent sûrement des limites définis à mon corps. C’est peut-être l’effet d’avoir été, d’être souvent, la conjugaison me fait croire autre chose, un peu lointaine, mal connectée, mal arrangée au monde.
J’ai beaucoup de mal à faire relation au dehors, aux autres. Je me surprends à marcher sur des œufs en permanence, à craindre de déranger, à me perdre en refaisant des affaires passées et en élaborant des prochaines, avec force détails pessimistes et mal fichus.
Alors la petite crème luxueuse, enveloppante, repenser à des odeurs de l’enfance, de l’adolescence, m’espérer bientôt l’eau bienfaisante de Clarins, comme un entre-deux, une petite passerelle et la propreté qui remet les idées d’aplomb.
Basile
J’ai passé des jours de maux de tête désespérants, à en avoir la nausée et le vague à l’âme. A la boulangerie, la vendeuse m’a demandé si j’étais allée à la piscine, mais non, c’était seulement mes petits yeux de la douleur qui annihile et aliène. J’ai marché à petits pas, le visage cassé de peine, la lumière qui perfore et le bruit qui transperce. Puis je l’ai vu, minus de chez Minus Company, étonnamment sage et sans aucun mystère mignon à s’en rouler par terre. Un bébé corgi. J’ai dit des choses bêtes aux humains autour, je n’arrive déjà pas à en gérer un, mais alors cinq ou six, laissez tomber. J’ai demandé son nom, histoire de pouvoir bassiner tout le monde avec, pris une photo. Basile donc, Basile le corgi, les oreilles en Hello Darling, une dressée et pas l’autre, l’allure floue.
A Stars Hollow
Je regarde de nouveau Gilmore Girls, avec application, ce qui m’étonne un peu. Je ne regarde pas tellement de séries, alors en visionner une une deuxième fois, en pensant déjà à la prochaine édition, n’en parlons pas. Mais il y a un réconfort évident, à rencontrer des bizarreries qui touche la mienne, à retrouver des livres et du café, des personnages qu’on voudrait pour amis. Je tiens Verlaine contre moi, il ronfle doucement, et je respire Yale, le triple expresso romain et le cuir d’une Cadillac. Je réfléchis à des choses pour la Ty Miaou Corporation, et je note en moi ces odeurs, ces évocations. Je les tiens comme un refuge intime, un endroit coquet où me promener, entre un kiosque et un diner.
La pêche aux livres
En ce moment, je glane plein de livres à faire passer, à transmettre. J’ai pourtant parfois une lassitude à exister, mais là, quand il s’agit d’affaires aussi sérieuses, je sens un petit feu m’agiter. Je liste et imagine, des albums pour parler des choses graves, des romans qui disent les enfermements. Je repense à des passions, des soirées agitées par un polar et d’autres éclipsées par toute la bibliographie d’une autrice. J’ai pourtant une sorte de panne de lecture en ce moment. Mais quand je ne lis pas, je cherche des livres, quand je n’en cherche pas, j’écoute des émissions qui parlent d’eux. Alors quand je ne lis pas, je lis encore.
Cher jour,
Verlaine est parti croquetter, il reviendra bien vite avec l’envie de manger autre chose, tout de même, il s’agirait d’avoir un petit bonbon de chats, flûte. Le soir s’annonce et moi je file, rêver à l’entrevue qui se prépare avec cet ami flou qui, à des sauts faits cet été et à l’hiver que j’espère tant. On change d’heure et d’humeur, la bouillotte sera bientôt essentielle, et je souris de la tiédeur que je vais m’offrir, draps propres et épaisseurs qui enveloppent, protègent et reposent,
Tant qu’il nous reste des dimanches.