Les nourritures - Le temps, le vert et le tout qui devient trop
Où je raconte, propose et fugue
De la nature consolatrice
Depuis quelques années, des récits de l’homme dans la nature fleurissent dans les librairies, pour mon plus grand bonheur. Ces écritures, souvent féminines et féministes, sont celles de la consolation, de l’homme qui reprend pouvoir sur son temps et de la femme qui s’ébroue dans une existence libérée. « Reprend pouvoir sur son temps » me semble inexact. Dans la lenteur et la simplicité, il n’y a pas de domination sur les heures, la planification, l’organisation. On se soumet à la pluie qui bouleverse les projets. On met un coup de collier pour terminer l’œuvre au potager. Au-delà de ça, à qui reprend-il son temps, si ce n’est au capitalisme ? Nommons les choses, nommons les maux, nommons les responsables.
L’uniformisation de nos rythmes de vie n’est issue de rien d’autre que du travail, de la domination et du souci de faire société. Ça se glisse dans des endroits intimes supposément exempts : j’ai réalisé cette semaine que j’éteignais entre 22 heures 30 et 23 heures, même si j’étais fatiguée bien avant, probablement car c’est l’heure à laquelle finit le film proposé à la télévision, télévision que je ne possède pas.
Prendre son temps. Retourner à la nature. Nous savons, les familles qui après les confinements ont déménagé dans des bourgs, parlant d’aller « vivre à la campagne », alors qu’il n’y a pas plus de nature dans leur environnement actuel. Je ne savoure plus cette expression, « prendre son temps », de la même manière qu’avant. C’est comme si je l’avais comprise, enfin. Comme si en analysant, scrutant et changeant mes usages des écrans, d’Internet et des réseaux sociaux, je la retrouvais. « Prendre son temps » est un effort, et nous devrions tous œuvrer pour que ce soit un droit. Prendre son temps à soi. Ne pas être connecté•e, ne pas être disponible. Faire les choses quand, comme, et si on veut. Annuler des choses pour ne pas les remplacer. Avoir des heures de rien pas destinées à être remplies; lire car on le veut, pas parce qu’on a deux heures devant soi, regarder un film car on a envie, pas parce que c’est possible.
Dans les écritures que je lis avec appétit, les histoires de nature rencontrée sont des histoires plus solitaires. Des êtres meurtris ou égarés qui prennent un moment pour se réparer. Se trouver. Et peut-être changer. Des espaces qui n’ont rien de sauvage mais ne sont pas non plus particulièrement accueillants. Ils ne sont pas là pour abriter l'homme, ce dernier n’est qu’un paramètre.
Quand Diglee raconte dans « Ressac » sa mise en retrait dans un couvent breton, loin de son téléphone et des réseaux sociaux, elle raconte avant tout son retour aux heures, son retour au corps. Elle dessine. Elle marche. Ses repas préparés par une cuisinière et pris à heures fixes, en communauté, la défait d’une intendance éreintante. Dans cette expérience, alors qu’un drame familial se dénoue, elle se voit de nouveau.
Je me demande si ce chemin se termine un jour, étant aussi soumis à des offres, dans tous les domaines, sans fin. Nos magasins regorgent de propositions, du supermarché à la librairie, la frontière entre consommation et culture s’affine.
Je me demande. Mais j’ai le temps de me le demander, alors je le prends, comme un luxe, une guérilla, et une idée à dérouler dans une marche, un creux.
Ou pas.
Ressac, de Diglee
Le film « The outrun », et le roman « L’écart », le premier étant l’adaptation du second. Ils m’attendent, mais conseillés justement par Diglee, comment douter qu’ils viendront me cueillir.
Du temps d’écran
En ce moment, je fais donc très attention à mon temps d’écran. Je vais m’offrir une très jolie montre pour ne plus dégainer mon téléphone afin de regarder l’heure, téléphone qui a une place dédiée chez moi, ne sort plus que pour aller au salariat, et est éteint la nuit, jusqu'à une heure avancée de la matinée. Je n’y consulte plus mes mails, et Instagram est supprimé. Je fais vivre mes carnets en les promenant avec moi, j’ai des petits brouillons aussi. Se pose la question de l’utilisation culturelle des écrans.
Quid des films et des séries ?
Je crois qu’on a un rapport à eux d’occupation, parfois. Je me surprends à regarder un film car il est disponible, pas par intérêt. Le dernier en date, « The Cake Eaters », sur France TV : nul, mais vu en entier.
Par ailleurs, les préconisations en terme de temps d’écran incluent les films, séries, sous le banal et obsolète « télévision ». Cependant, on ne peut pas comparer une heure de scroll sur Internet au visionnage d’un film. On ne peut pas mettre sur le même plan une soirée sur YouTube et une soirée à lire en numérique. Par ailleurs, les préconisations soulignent elles-mêmes que tout ça ne prend pas en compte… la vie professionnelle. Donc si je comprends bien, on doit, usagers et usagères d’écrans, modérer, réfléchir, mais dans le cadre du travail : ça passe. Dans le cadre du travail, on met au point des subterfuges, des malices, « faites une pause toutes les vingt minutes en regardant vingt secondes au loin ». On la sent, l’arnaque. Je trouve qu’il faut un sacré toupet pour dire ensuite aux gens « Pas d’écrans une heure au moins avant d’aller se coucher », alors que ça peut être un film distrayant ou un petit bouquin.
« Vieille fille », de Marie Kock, car reprendre son temps est aussi le rendre indisponible aux hommes médiocres. J’ai été très émue de lire l’autrice raconter qu’elle n’a pas fait des choses extraordinaires du temps qu’elle a retrouvé. Elle a juste lu, fait du yoga, des choses qui font juste vivre. Juste.
« La civilisation du poisson rouge », de Bruno Patino. Conseillé lui aussi par Diglee, il est dans mes petites listes. L’auteur raconte comment notre attention est un marché. Je tombe sur ce titre qui a l’air formidable.
De la proposition culturelle
Si je suis assez raisonnable dans la vie, je trouve qu’en matière de culture, j’accumule. Je me dis que tant que je me sens à l’aise, sans jamais aucun sentiment de saturation, pourquoi me priver. J’ai cependant ajusté un usage : j’alterne films et séries, je ne peux décemment pas faire les deux chaque jour. A l’heure où j’écris ces lignes, ce sera « All creatures great and small », et je trépigne, ce qui est un très bon signe, je ne suis pas en burn-out culturel.
Je suis tentée de bâcler ici le propos, et vous savez quoi ? Je vais me hâter, car mon temps, mon espace, mon usage.
Donc : y a trop de livres qui sortent, trop de trucs sur les plateformes de streaming, peut-être qu’on pourrait se demander si ça nous apporte vraiment un truc, si on aime cette série en 12 saisons ou ce roman dont tout le monde parle.
En ce qui concerne les bouquins, je suis une petite crapule, car je dois avouer qu’un panier plein est sur le site de la librairie, mais que je consulte le catalogue de la bibliothèque, notant ainsi que certains livres choisis sont ou seront disponibles. Je tangue alors entre « Faut soutenir l’édition, en plus ce sont là des livres sur l’extrême droite » et « Repose ça, ça te fera des sous pour d’autres bouquins ». Je vais donc rester là, avec mon carnet et mes calculs, à pencher pour la deuxième idée car : plus de livres.
Car oui, la lenteur, le temps, la parcimonie,
Mais les livres,
Plus de livres,
Plus de films, de rires, de marches tranquilles, de thé chaud,
Plus plus plus
Plus de vie,
Tant qu’il nous reste des dimanches…
Quel sujet ! Il y a matière à réflexion 😊 je ne connaissais pas Diglee donc je vais voir un peu ce qu’elle fait cette formidable personne 🙏 et regarder comment je passe mon temps ! J’ai d’ailleurs déjà fait des espèces de detox digitale sans le savoir. Parfois, même si j’ai le temps et les livres, je ne vais pas lire pendant un mois entier. Depuis décembre, je n’ai pas regardé Netflix. Parfois, j’arrive comme à saturation et j’arrête assez naturellement. Merci et bon dimanche ❤️