Soleil & mots
Où il y a du soleil puis plus, de l’agacement, l’odeur de la pluie et des tisanes, toujours.
Jeudi 10 mars 2025, 14 heures 53
Les jours passent sans pitié. Je voudrais me lover encore aux heures lentes, chaudes d’un soleil tant attendu, mais elles m’échappent pourtant. Je compte les jours avant le retour au salariat et m’en désespère un peu. J’aimerais allonger ce temps comme j’allonge le pas autour du parc. J’aimerais ne vivre que là, dans cette mélancolie d’enfant de primaire, à bricoler, et perdre à l’occasion cette empreinte terrible de l’âge adulte, la crainte des aiguilles qui tournent. Je vis, et chaque matin pourtant je goûte le jour comme s’il était déjà parti. Ce matin, dans la cour, avec mon petit déjeuner et ma lecture, sous le plaid, je notais. C’était un rien. Un instant. Mais c’était une échéance que je notais.
Vivre dans ce monde capitaliste, c’est grugé pour avoir son temps. C’est s’arranger. Là où l’intime vit fougueux, les passions et les envies éclosent de même, sans bordure ni frontière, le système nous contraint à nous museler.
Jusque dans le sommeil qu’on tronque pour se plier aux horaires du salariat, la domination.
Je me demande comment m’extraire de cette mécanique, celle où je note inconsciemment que bientôt, le temps libre ne sera plus.
Vendredi 11 avril 2025, 16 heures 22
J'écris du soleil. J'écris de la cour chaude, tisane qui repose sur la table, calme du jour. J'écris repue de fraises, les premières, de deux crêpes de l'épicerie, mais avec l'appétit pour le livre ouvert là, contre ma poitrine.
Je n'ai rien fait cette semaine. Vécu pourtant, mais qu'en dire ? Parfois, souvent, je courbe l'échine, comme s'il fallait ici une satisfaction du client. Qu'écrire quand on fait jachère ?
Voici des listes éparses et éparpillées.
Liste de petites satisfactions de la semaine
• J'ai fait mes courses à l'épicerie zéro déchet, je me suis sentie héroïque à ne faire que ranger ensuite, ne pas avoir à jeter un petit papier, une étiquette.
• Je garde jusqu'à la déchirure sans solution de petits sachets en kraft, j'y vois le geste de cette grande tante morte il y a maintenant quelques années. Je ne l'ai pas beaucoup connue, son prénom m'échappait un peu à l'instant d'ailleurs. Elle habitait le sud, j'y suis allée deux ou trois fois, une avec ma grand-mère, qui prenait bien soin de ne pas être sympa avec moi, ce qui contrastait avec la chaleur de notre hôte. Il y avait une piscine où ses petits-enfants ne se baignaient pas car ces ingrats ne venaient jamais, la solitude de l'enfance qui rencontre celle de la vieillesse, un Cocci pas loin, le silence de la zone pavillonnaire, et pas de gâchis : des barquettes en polystyrène posées en piles sur les plans de travail de la cuisine, des sachets en kraft de toutes les tailles et des sacs en plastique, évidemment. Le monticule de sacs en plastique, ça a été un mausolée érigé dans bien des maisons.
• Les courbatures légères et tenaces, l'air chaque jour, mes joues rouges, voilà des joies et des fiertés.
Vu au parc
• Deux petits qui jouent à courir sur le petit chemin à côté de l'espace toboggan, comme s'ils fuguaient. L'un tombe, il s'est emmêlé les pinceaux, alors la mère arrive au galop. Il braille comme un âne, elle le relève. Et il gifle sa petite camarade de jeu. Je me suis dit qu'à son âge, 4 ans, même pas, on pouvait quand même être un sacré trou du cul.
• Une corneille et un énorme trésor dans son bec. On aurait dit une patate, un caillou ou un bulbe. J'en suis encore ébahie.
• La fille qui habite pas loin de chez moi et a un petit chien mignon qui lui demande inlassablement de lui lancer la baballe.
• Des oiseaux, plein. Je m'arrête, suis émue de ne pas provoquer leur fuite.
• Les rosiers s'épanouirent.
• Les allées vides du matin, les pelouses bondées de l'après-midi.
Puis ailleurs
• Un chien et un pigeon qui se regardent fixement.
• Cajou, ma copine-chien qui sourit.
• Des affiches sur la vie antifasciste, partout sur les murs de la ville.
Samedi 12 avril 2025, 15 heures 50
Le visage moite de la chaleur avant l’orage. Verlaine ronfle doucement à côté, nous suivons mon amie J. en expédition nature. Je somnole et sens au loin un agacement. L’agacement contre les gens dont je garde le chat à partir de demain et qui encore, encore, vont m’obliger à rappeler de faire le virement PayPal plusieurs fois. Les gens qui encore, encore, me feront regretter de leur avoir proposé ça, de leur avoir facilité la vie. Je me dis, peut-être, que je pourrais ne leur donner des nouvelles de leur animal qu’une fois le virement effectué, je ne sais pas. Je ne sais pas si c’est moi, ça.
16 heures 57
Je me suis aussi agacée de :
On m’a dit « Pas tous les hommes », puis quand j’ai expliqué que ce n’était pas possible, j’ai reçu la réponse qui finit de me ruiner le cerveau : « Je me suis mal exprimée, c’est pas ce que j’ai voulu dire ». Ça me rend FOLLE. Ça, et les dérivés à base de « On s’est mal compris », comme si j’étais une débile finie. Si tu me dis « Pas tous », je comprends « Pas tous ».
« Y a vachement de parents démissionnaires ». Putain, laissez les enfants être des enfants et les parents faire ce qu’ils peuvent.
Je suis donc là avec ma petite tisane, la pluie qui arrive et encore, en doux et bon tigré, Verlaine le magnifique. Cette lettre ne ressemble à rien. Je n’en suis pas ravie, loin de là. Peut-être qu’elle a simplement le mérite d’exister. On attend toujours beaucoup trop de son acte créatif. Ça doit remplir des critères, être réussi, avant même d’être là au monde. Pourtant, une phrase, c’est déjà un monde. Un croquis, ce n’est déjà plus une feuille blanche.
L’odeur de la terre après la pluie s’élève, et je l’écris là, dans le crépitement des gouttes. Je l’écris pour faire un mot plus un mot, une averse plus une averse. Un endroit. Je me love à l’idée que tout ça n’est qu’une marche, simple et sans enjeu. Je le love, tant qu’il nous reste des dimanches.
Moi aussi je l'aime drôlement bien cette lettre ! Tu y racontes plein de choses , qui m'émeuvent, me font ressentir des choses proches ou lointaines et me donnent matière à réfléchir ✨ Et vive les corneilles, ces animaux merveilleux avec leurs trésors patate.
J’apprécie toujours autant ces lettres du dimanche et j’admire que tu prennes le temps d’écrire tout ce que tu vois. Ça en fait des choses à la fin à raconter. Et puis ça donne envie de noter ce genre de choses aussi 😊